Revue 2020
#28 - Discours sur l’amour bienveillant.
Par Vénérable Parawahera CHANDARATANA
Ce soir je vais vous parler de Mettâ [amour bienveillant].
Vous avez déjà probablement entendu ce mot. Mettâ nous aide beaucoup dans notre pratique quotidienne. Pour bien comprendre ce mot il faut bien comprendre le Dhamma, le chemin qui mène à la fin de la souffrance.
Le chemin qui mène à la fin de la souffrance, c’est le Noble Chemin Octuple, à savoir:
Compréhension Juste
Pensée Juste
Parole Juste
Action Juste
Moyen d’Existence Juste
Effort Juste
Attention Juste
Concentration Juste
Bouddha nous a bien expliqué Mettâ en définissant le 2ème facteur du Noble Chemin Octuple:
« Amis, qu’est-ce que c’est que la Pensée Juste?
La pensée du renoncement,
la pensée de la non-violence,
la pensée de la bienveillance. »
Mettâ est un mot au cœur du Bouddhisme. Les moines doivent faire rayonner Mettâ vers les fidèles. Les moines reçoivent tout des fidèles. Les robes dans lesquelles ils s’habillent, la nourriture qu’ils mangent, la maison qu’ils habitent et les médicaments qu’ils prennent – tout ce qui est nécessaire à la subsistance des moines est offert par les fidèles.
Les moines n’ont rien à donner pour montrer leur gratitude aux fidèles. C’est en vivant, pratiquant, enseignant le Dhamma, en développant et pratiquant l’amour bienveillant et en faisant rayonner Mettâ vers les fidèles que les moines rendent leurs dettes aux laïcs. Pour payer toutes les dettes envers les laïcs, les moines pratiquent Mettâ tous les jours.
Après son éveil le Bouddha lui-même, tous les matins de bonne heure, atteignait le Mahâkarunâ sammâppatti. Cette sammâpatti est très difficile à atteindre, mais le Bouddha l’atteignait tous les jours pour pouvoir contempler l’univers entier, pour savoir qui il pourrait aider en ce jour grâce à son amour bienveillant.
Mettâ est un mot Pâli, le mot qui lui correspond en sanskrit est ‘Maitrî’. L‘origine linguistique de ces mots est très belle. Ils viennent de la même racine: en pâli le mot ‘mitta’ signifie ‘ami’. En sanskrit ‘ami’ c’est ‘mitra’. Mettâ et Maitrî expriment également ‘l’amitié spirituelle’. On associe ces mots au Soleil qui donne la chaleur et la lumière.
Le Bouddha nous a bien expliqué comment pratiquer Mettâ. Dans les trois Pitaka il existe trois Sutta qui l’enseignent. La personne qui est profondément imprégnée d’amour bienveillant, doit bien savoir le Mettâsutta.
Ce Sutta a été enseigné pour un groupe de moines. Une fois ces moines sont partis dans la forêt pour méditer en suivant les conseils du Bouddha. Quand ils ont commencé à méditer dans un lieu solitaire, quelques Deva essayèrent de les empêcher de méditer.
C’étaient des Deva de « micchâditthi », ‘la vision fausse’. Ils ont tout le temps troublé la méditation des Bhikkhu. Les moines sont rentrés et ils ont raconté au Bouddha ce qui c’était passé. Le Bouddha leur a enseigné la méditation Mettâ. Quand les moines sont retournés dans la forêt pour recommencer la méditation, ils ont pratiqué d’abord la méditation Mettâ. Les Deva, convertis, se sont mis à les aider et à les protéger dans leur développement spirituel. A partir de ce moment le Sutta de Mettâ assurait toujours une protection aux moines.
Si quelqu’un est contre nous, avec la pratique de ce Sutta nous pouvons le dompter. Le Sutta nous explique comment on peut avoir la paix en pratiquant la méditation d’amour bienveillant.
Pour la pratiquer il faut que nous soyons contents de toutes choses et joyeux,
que nous ne nous laissions pas submerger par les affaires du monde,
que nous ne nous chargions pas des fardeaux de la richesse, que nous ayons les sens maîtrisés,
que nous soyons sages, sans être hautains, que nous ne soyons pas attachés trop à la famille.
Si quelqu’un a ces caractères, il peut pratiquer Mettâ.
Dans le Sutta nous souhaitons que toute chose qui est vivante faible ou forte,
élevé, longue ou grande, moyenne, courte ou petite, visible ou invisible, née ou à naître, que tous ces êtres soient heureux.
Que nul ne déçoive un autre, ni ne méprise personne, que nul, par colère ou par haine, ne souhaite de mal à un autre. Ainsi qu’une mère au péril de sa vie surveille et protège son unique enfant, ainsi avec un esprit sans entraves doit-on chérir toute chose vivante. Avec une bonté bienveillante envers le monde entier et un esprit sans entraves, au-dessus et au-dessous et tout autour, sans limitation, sans haine et sans aversion.
Etant debout ou en marchant, assis ou bien couché, tant que l’on est éveillé on doit cultiver cet esprit. Cet esprit est une demeure sublime à ce monde. Celui qui pratique l’amour bienveillant qu’il abandonne les fausses opinions, qu’il se débarrasse des appétits des sens, il ne connaîtra plus de renaissance.
Une autre Sutta explique que la personne qui pratique Mettâ obtient d’autres résultats.
Vous dormez bien.
Vous vous réveillez heureux.
Vous n’avez pas de mauvais rêves
Vous êtes cher aux humains, les humains vous aiment
Les êtres non-humains vous aiment.
Les Deva vous protègent
Poison et feu et des âmes ne peuvent vous toucher.
Votre mental se concentre vite.
Vous êtes de bonne humeur.
Vous mourrez sans confusion d’esprit.
Si vous ne réalisez pas le Nibbâna, vous renaîtrez dans le monde de Brahmâ.
Le Mettâni sanasutta [Sutta de l’amitié] présente la personne qui ne trahit pas l’amitié.
Il mange bien. Quand il s’en va de chez lui, nombreux sont ceux qui dépendent de lui.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. Quel que soit le lieu par où il se dirige, petit village ou grande ville, il est partout honoré.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. Les voleurs ne l’accablent pas,
Le roi ne le méprise pas, Il surmonte tous ses ennemies. Celui qui ne trahit pas l’amitié. Il arrive à la maison sans colère, parmi une multitude de gens. Il est heureux parmi ses proches.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. Il donne et il reçoit. Il vénère et il est vénéré.
Jamais la prospérité ne l’abandonne.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. Ce qu’il sème donne une bonne récolte. La joie de la récolte l’attend.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. S’il tombe quelque part, il trouve son soutien.
Celui qui ne trahit pas l’amitié. Il est bien enraciné comme l’arbre de banian que le vent ne peut jamais arracher. Et les ennemis ne peuvent pas lui nuire.
Celui qui ne trahit pas l’amitié.
Pour accroître l’amour-bienveillant, il convient de développer en vous trois facteurs: la compassion, la joie- sympathique et l’équanimité. Certains interrogent parfois; quelle est la différence entre compassion et amour- bienveillant? Là est l’amour – bienveillant nous pouvons le garder et l’éprouver sans limites, et à l’égard de tous les êtres: c’est pratiquer Mettâ vis–à–vis de gens que nous connaissons, ainsi que ceux que nous ne connaissons pas. Certains disent: je peux l’éprouver pour tous sauf pour un tel ou un tel. C’est absurde, car quand il y a Mettâ, il l’est à l’égard de tous, autrement il n’est pas en tant que tel, car cet amour n’a pas de limites (appamanna).
Nous ne pouvons pas savoir le nombre d’êtres qui vivent sur cette terre ou sur d’autres planètes; il n’y a pas de limite au nombre des êtres vivants c’est pourquoi il est difficile de les inclure tous dans notre amour -bienveillant; difficile aussi de le diriger vers les êtres que nous ne connaissons pas. L’amour – bienveillant doit être dans notre esprit.
La compassion (Karuna) n’a pas de limites non plus; nous pouvons l’éprouver à l’égard des êtres que nous connaissons. Elle apparaît dans notre esprit quand nous voyons un être qui souffre. Ce cas émeut notre cœur par la compassion que nous éprouvons.
La joie sympathique (Mudita) est celle que l’on éprouve à la vue de la joie ou du succès d’autrui. Si quelqu’un est beau, on peut être admiratif ou bien jaloux. Parfois la souffrance d’autrui nous fait souffrir, mais on ne se réjouit pas de son bonheur. Cela n’est pas la joie – la joie sympathique. Nous sommes plus facilement aptes à compatir du malheur d’autrui que de se joindre à son bonheur. Si on peut se réjouir du bonheur de quelqu’un, alors c’est la joie sympathique.
L’équanimité (Upekkha) est plus difficile que les trois autres à réaliser, qui sont déjà difficiles. Le terme Pali Upa signifie ‘juste’, ‘impartial’, ‘droit’. La signification étymologique du terme Upekkha est « voie juste » , « vue impartiale ». Elle doit être développée sans attachement et sans aversion.
A plusieurs occasions le Bouddha a été l’objet de blâmes aussi bien de la part de Brahmanes que de laïcs. Alors qu’il demeurait au monastère d’Anathapindika dans le parc de Jeta à Savatthi, le Bouddha prit son bol et entra dans la ville pour sa tournée d’aumône. Au même moment, dans la maison du Brahmane Aggika Bharadvaja, on allumait le feu de sacrifice et on disposait les offrandes.
Le Bouddha allant maison en maison arriva près de celle du Brahmane. Alors ce Brahmane voyant le Bouddha s’approcher, lui cria : « N’avance pas, tête rase, arrête, ô misérable Samana, arrête ô paria. » Le Bouddha resta calme et impassible, puis il commença à lui enseigner les caractéristiques qui font d’un homme un paria.
Une fois, un autre Brahmane invita le Bouddha dans sa maison pour lui faire l’aumône. Une fois arrivé, il lui proféra des paroles injurieuses telles que : cochon, brute, chien…. d’usage à l’époque. Mais le Bouddha resta calme et impassible, puis il lui demanda ce qu’il ferait si des amis lui rendaient visite. – Le Brahmane lui répondit qu’il leur préparerait un festin. Alors le Bouddha lui dit: « Et s’ils refusent de partager votre repas, qu’en faites-vous? » L’autre lui répondit: » Je le partagerai avec ma femme et mes enfants. » Le Bouddha lui rétorqua: « Et bien moi je refuse vos paroles injurieuses. Gardez les pour vous même et partagez les avec votre famille ».
Les quatre facteurs s’appellent Brahma Vihara. Le mot Brahma est utilisé dans un sens différent par rapport à l’hindouisme. Dans le Bouddhisme il s’emploie pour exprimer un comportement supérieur. Vivre dans l’amour – bienveillant, vivre dans la compassion, vivre dans la joie sympathique et vivre dans un esprit d’équanimité. Cela s’appelle comportement sublime. Pour avoir une vie harmonieuse et saine il faut développer les quatre états sublimes.
Quand une mère est enceinte dans la période où le bébé est dans son ventre elle éprouve de l’Amour – bienveillant à son égard. Elle le protège comme un trésor. La plupart des mères quand elles sont enceintes s’abstiennent de fumer, d’avoir des activités corporelles dures qui pourraient nuire à l’enfant. Après la naissance du bébé la compassion se développe, la mère accroît sa compassion. Le cœur de la mère sursaute quand elle voit le moindre danger menaçant son enfant.
Elle s’efforce au maximum de le protéger quitte à négliger sa propre personne même si elle est malade. Quand l’enfant grandit elle se réjouit de ses succès, le cas échéant. S’il lui demande de lui acheter quelque chose elle exécute son désir, et apprécie ses réussites. Quand il devient adulte il se marie et vit séparé d’elle, l’attitude de sa mère demeure équanime: elle continue à éprouver le même sentiment à l’égard de son fils.
Voilà un développement des quatre comportements sublimes. Ces quatre comportements sublimes doivent être développés en nous-mêmes; ils ne peuvent nous parvenir de l’extérieur; personne ne peut nous les donner; mais leur germe se trouve en nos cœurs et attend que nous l’accroissions. Même une personne cruelle, elle n’en est pas dépourvue. Mais ne sachant pas les cultiver elle manifeste des attitudes cruelles.
Pour cultiver les quatre états sublimes, il existe un moyen spécifique. Il convient de se relaxer. Car la relaxation est un terrain favorable au développement de l’amour – bienveillant. L’état de relaxe est comparable à un jardin où germent des fleurs. Mais parfois des gens cherchent la relaxation en s’adonnant à l’alcool ou à la drogue, ce genre de relaxation n’est qu’un oubli temporaire des problèmes.
Ce n’est donc pas la relaxation véritable dont il est question. La relaxation par l’alcool et la drogue n’est que camouflage, et ainsi l’on ne saurait cultiver Mettâ. La meilleure voie pour la relaxation consiste à utiliser pleinement nos capacités mentales.
La meilleure voie pour se relaxer c’est la méditation; elle procure la relaxation du mental de celui qui la pratique. Avec la méditation de l’attention ultime vous verrez le développement de l’amour- bienveillant dans un esprit véritablement relaxé. Avec la méditation Samatha nous ne pouvons pas développer une telle tranquillité. Lorsque nous pratiquons Vipassanâ nous la développons.
Quand nous développons quelque chose de noble en nous le moyen de le faire c’est l’usage de l’effort juste. Cet effort nous pousse à cultiver l’amour -bienveillant dans un état d’esprit relaxé.
Là il y a deux choses à souligner: Eprouver l’amour – bienveillant et l’expérimenter est une première chose essentielle dans l’Enseignement du Bouddha. La pratique de la méditation est une deuxième chose essentielle dans l’Enseignement du Bouddha. Lorsque nous pratiquons la méditation de l’attention ultime, l’expérience de l’Amour- bienveillant devient très forte et particulièrement développée en nous.
Tout d’abord il convient le développer à l’égard de nous-même, car notre amour pour nous- même est si grand. Quand on dit: je vous aime plus que mon être, plus que ma vie, c’est du mensonge dans le fond. Nous n’aimons pas les autres plus que nous – même. Voilà pourquoi il faut pratiquer la méditation pour nous – même.
L’amour – bienveillant est très différent d’un amour ordinaire. Dans la vie quotidienne on dit j’aime ceci ou j’aime cela, mais s’il y a changement, il y a la haine qui s’installe et remplace l’amour. L’amour – bienveillant n’entre pas dans une dualité. C’est un amour sans limite, et éprouvé sans tenir compte de la réaction d’autrui et sans discrimination aucune.
Même si un fœtus fait souffrir la mère dans son sein, la mère ne manque pas d’amour pour lui. Et une fois grand, l’attitude de sa mère ne change pas à son égard même s’il manifeste une distance vis-à-vis d’elle. Développer l’amour – bienveillant laisse des symptômes sur l’apparat physique: Visage épanoui et doux. De même les états néfastes tels que la colère et l’agressivité se remarquent sur le visage.
Après s’être dirigé vers nous – même, nous devrions diriger l’amour – bienveillant vers nos parents. Certains ne peuvent l’orienter vers les parents du fait de leur mauvais traitement à l’égard des sujets. Mais ils doivent oublier un tel traitement pour pouvoir éprouver l’amour – bienveillant.
Les enfants qui ont la mauvaise volonté à l’égard des parents ne peuvent être heureux. Quiconque ne respecte pas parents ne respectent pas les autres. Et celui qui fait du mal à ses parents, fait du mal aux autres. Le Bouddha a dit respectez vos parents comme vous respectez le Bouddha.
METTÂ : L’AMOUR UNIVERSEL
Mettâ n’est pas une fraternité politique, raciale, nationale, ou même religieuse. La fraternité politique se limite juste à ceux qui partagent les mêmes opinions, tels les démocrates socialistes, communistes et autres. Les fraternités raciale et nationale, se confinent juste à ceux de la même race et pays. Les gens différents sont regardés avec méfiance et peur. Mettâ n’est pas non plus la fraternité religieuse. Même en ce soi-disant éclairé XXème siècle, certains fidèles d’une religion haïssent, persécutent et même tuent ceux ayant des croyances différentes.
Si à cause des vues religieuses, des gens de fois différentes ne peuvent se rencontrer sur une base commune comme frères et sœurs, alors certainement les missions des compatissants Maîtres spirituels du monde ont lamentablement échoué. Le douce Mettâ transcende tout cela. Il est sans limite, sans barrière, et ne fait pas de discriminations.
Mettâ nous donne la possibilité de regarder le monde entier comme la terre natale de tous les êtres. De même que le soleil répand sa lumière sur tout sans distinction, le sublime Mettâ accorde sa douce bénédiction également sur tous les êtres sans exception. Telle était la compassion infinie du Bouddha œuvrant pour le bien et le bonheur, non seulement de ceux qui le vénéraient mais aussi de ceux qui le haïssaient. Ainsi il rayonna sans discrimination avec sa bonté sur son fils Rahula, son adversaire Devadatta, son proche disciple Ananda, ses admirateurs et ses opposants.
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Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka IV-Ve Siècle