Revue 2020
#29 - L’établissement du triple joyau
dans la culture européenne.
Ven Parawahera Chandaratana
Un point de vue Theravadin
Sur le fond, la tradition bouddhique Theravadin, même si elle ne prône point la division sociale des sociétés asiatiques par un système de castes, est une tradition plutôt contenue en elle-même qui n’est pas enclin au prosélytisme. Evidemment, si des Occidentaux souhaitent prendre refuge dans le triple joyau du Bouddha, du Dhamma et du Sangha et suivre les enseignements du Bouddhisme originel, ils sont les bienvenus!!! Mais, le fait de prendre refuge dans le triple joyau n’équivaut point à une conversion et même si après avoir accepté le refuge d’un aspirant au Dhamma un Bhikkhu donne un nom Pali au nouvel adepte, cette pratique n’équivaut point à un baptème.
Aussi, qu’est-ce que l’on entend par conversion??? C’est un terme à connotation plutôt Judéo-chrétienne ou islamique. Permettez-moi de vous donner un exemple. Les religions abrahamiques se polarisent sur une profession de foi dans des dogmes révélés. Si, par exemple, un Juif commence à penser qu’Israël à manqué quelque chose de crucial en refusant de reconnaître Jésus-Christ comme le messie, il rejettera peut-être le dogme du Dieu unique d’Israël qui ne peut être deux ou trois mais seulement un et qui ne peut s’incarner en chair et en os.
Donc il adhérera au dogme révélé de la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit et deviendra chrétien, pensant qu’Israël a été disgracié et condamné du fait d’avoir refusé de reconnaître le Seigneur Jésus-Christ comme le sauveur de l’humanité entière. Par conséquent, pour ce nouveau converti, le concept d’unicité divine tel que nous le trouvons dans le Judaïsme est imparfait si on le compare à celui de la Sainte Trinité chrétienne.
Si un Musulman rejette la Shahada (la profession de foi musulmane) de l’Islam qui dit “Je porte témoigne qu’il n’existe pas d’autre Dieu qu’Allah et que Mahomet est son Prophète” et commence à proclamer que la révélation ultime de Dieu n’est finalisée que par la mort du Seigneur Jésus sur la croix, il pourrait commettre l’apostasie de la religion de l’Islam et devenir un Chrétien mais c’est une chose dangereuse à faire dans la plupart des pays musulmans.
Aussi, si un Chrétien ne croit plus en la Sainte Trinité et pense que le Messie n’est pas encore né dans ce monde et que le concept de l’unicité divine tel qu’il est prôné dans le Judaïsme, est plus correct que le dogme de la Sainte Trinité, il pourrait, après quelques années et de nombreuses épreuves, défis et études, devenir un membre de la communauté d’Israël. Il croira certainement qu’Israël est toujours le peuple élu par Dieu.
Par conséquent, et c’est le point crucial sur lequel je souhaite mettre l’accent, à chaque fois que les nouveaux fidèles de telles religions rejettent un dogme révélé précédent, ils en adoptent un nouveau. C’est ce que nous pourrions appeler un processus de conversion au sein des trois religions abrahamiques.
Dans le Bouddhisme Theravada, il n’y a pas de Dieu personnel créateur et il n’existe pas de dogme révélé non plus. Le Bouddha simplement invita les écoutants de son Dhamma, son enseignement sur la réalité, à voir par eux-mêmes, vérifier expérimentalement et tester la validité de ses enseignements et il ne fut jamais question de simplement croire.
Le Bouddhisme Theravada est une sotériologie positive dont la finalité est l’éradication de toutes les souillures (kilesa) et souffrances du mental. Ce n’est pas une religion théiste et il ne postule même pas la théorie de l’existence d’une nature de Bouddha primordiale et éternelle voilée par l’illusion (moha) et le karma ou la théorie de l’existence d’un Bouddha céleste.
Dans le Mahâparinibbâna Sutta, Bantei Ânanda avait demandé au Bouddha qui serait le maître de la communauté bouddhiste des moines, nonnes et écoutants laïques (la Sangha des Bhikkhus, Bhikkhunis, Sâmaneras, Sâmanerîs et Cavakkas) après qu’il aurait trépassé dans le Mahâparinibbâna. Le Bouddha répondit que c’était son Dhamma, son enseignement sur la réalité.
Dans le Bouddhisme Theravada, la meilleure façon d’honorer le Bouddha consiste à pratiquer son enseignement. Il existe certainement, au sein du monde bouddhiste Theravadin, une grande confiance dans le fait que le Bouddha est celui qui devint un Sammasambuddha (un être pleinement éveillé) en découvrant le Catur Ariyâ Saccam (les Quatre Nobles Vérités) et le Noble Sentier Octuple (Ariyâ Atthangika Magga) et que ceci est appelé ekayâna, le sentier unique vers l’éveil.
Ainsi, les enseignements du Bouddhisme Theravada sont d’attrait universel. En fait, partout sur terre les humains pourraient pratiquer la méditation vipassanâ et contempler le tilakkhana (les trois caractéristiques) d’anicca (l’impermanence), anatta (le non-soi) et dukkha (la souffrance) propre à tous les phénomènes mentaux et matériels. Et il n’existe point de barrières de caste, de crédo, de culture ou de race pour cela.
Toutefois, tout en disant que se convertir au Theravada, pour les raisons mentionnées ci-dessus, n’a pas de sens, il existe aussi des raisons pour lesquelles, dans les sociétés européennes, cette école du Bouddhisme ancien ne fait point de prosélytisme. En premier lieu, il a conservé en quelque sorte son caractère indien et asiatique en ne modifiant guère le Patimokkha (le Code de Discipline Monastique) des origines prévalant à l’époque du Bouddha, et en ne faisant pas beaucoup de compromis avec les transformations des mentalités, des sociétés et de l’histoire.
Quelques Bouddhistes Mahâyâna, ayant une opinion correcte à ce sujet jusqu’à un certain point, affirment que les Theravadin sont très conservateurs et qu’ils s’attachent à une forme de rigidité ancestrale.
En second lieu, la plupart des Theravadin natifs demeurant dans des sociétés européennes, qui sont de descendance Cambodgienne, Thaïe; Laotienne, Birmane, Sri Lankaise et Bangladaise, souhaitent simplement réunifier des liens avec leur tradition ancestrale tout en résidant dans des pays occidentaux. Ils ne se tourneront pas facilement vers des Européens pour leur prêcher le Dhamma.
Certainement, quelques moines Theravada, qui sont des bons instructeurs dans les méditations Samatha (le calme mental) ou Vipassanâ (l’introspection), seront ravis de dispenser des enseignements aux Européens qui viennent dans leur pagode. Ceci dit ils leur enseigneront bhâvanâ (la culture mentale ou la méditation) sans même leur proposer de prendre le triple refuge dans le triple joyau (Tisarana Tiratana Vandanam).
Un exemple illustre de ceci est la guidance remarquable conférée par le Vénérable Henepola Gunaratana non seulement aux USA, mais aussi pendant des cours de méditation donnés en Europe.
Toutefois, habituellement, le Bouddhisme Theravada a un nombre considérablement plus grand d’adeptes de descendance européenne dans les mondes germanique ou anglosaxon que dans des pays à héritage culturel latin.
C’est lié au fait que le Theravada n’est point enclin à une forme de mysticisme coloré car c’est un enseignement plutôt sec, aride et pragmatique. Les Allemands ou les Britanniques, par exemple, sont plus attirés par quelque chose comme ça de toute évidence.
La tradition Thaïe de la forêt prévaut principalement au Royaume-Uni, par exemple, au sein du célèbre monastère Amaravati qui se trouve dans la banlieue de Londres.
Ceci dit, en raison de la foi chrétienne déclinante dans de nombreux pays d’Europe occidentale, le déclin de la foi dans les approches dogmatiques et théistes du Christianisme et de l’Eglise Catholique, par exemple, concernant le monde spirituel, les Bouddhisme Theravada et Mahâyâna tous deux pourraient y fleurir dans les générations prochaines. Le Bouddhisme Mahâyâna, toutefois, semble plus adapté à l’évolution des mentalités occidentales que le Bouddhisme Theravada.
Le point le plus essentiel de compatibilité entre le Bouddhisme et la culture occidentale contemporaine, en général, réside dans le fait que les théories d’anatta (le non-soi) ou de Shûnyatâ (la vacuité universelle) ou même la coproduction conditionnée (paticca samuppada) ne contredisent pas du tout les découvertes les plus récentes des scientifiques dans le domaine des sciences physiques relativistes et quantiques.
Comme ce n’est pas vraiment enraciné dans la Foi non plus, mais plutôt dans l’expérience et la pure observation des phénomènes mentaux et matériels tels qu’ils sont réellement, ces enseignements sont en harmonie parfaite avec les approches d’observation objective de l’univers adoptées par les scientifiques.
Le Bouddhisme Theravâda arriva en France à l’origine grâce à de nouveaux immigrants ressortissants des anciennes colonies françaises d’Asie du Sud Est, venus du Cambodge, du Laos et de quelques Vietnamiens aussi.
De nos jours, il existe environ 60 temples bouddhistes Theravadin en France et environ 386372 adeptes de cette école, d’origine Sri Lankaise, Laotienne, Cambodgienne, Thaïe, Birmane ou Vietnamienne, résident dans ce pays. Quelques français seulement sont adeptes de cette école doctrinale.
Tandis que la méthode de méditation vipassanâ du défunt moine birman Mahasi Sayadaw est principalement enseignée en France par une nonne d’origine cambodgienne appelée Sayalay Daw Sobhana et qu’elle rencontre plus de succès au sein de quelques pagodes birmanes implantées au Royaume-Uni, il existe un centre de méditation Vipassana Goenka bâti en France et portant le nom de Dhammamahi.
Toutefois, l’approche Goenka est fortement orientée vers le monde laïque et elle est dénuée du caractère habituellement dévotionnel du Theravada, car de nombreux Bouddhistes Theravadins récitent habituellement deux fois par jour dans la langue Pali des parittas (formules de protection), si possible des Suttas (Karaniya Metta Sutta, Maha Mangala Sutta ou le Dhammacakkapavattana Sutta) et aussi des prières de triple refuge dans le triple joyau (Tisarana Tiratana Vandana).
Pour conclure ce discours qui, je l’espère, vous a plu à tous, j’aimerais vous rappeler ce qu’avait affirmé le très honorable défunt Bhikkhu Thaï Buddhadasa: “Quand les Farangs (les Occidentaux) viennent à Wat Swan Mokh, ils veulent étudier et pratiquer le Dhamma, quand les Thaïs viennent ici, ils veulent accumuler des mérites.”
De façon ultime, les Farangs (les Occidentaux) furent ceux qui décidèrent de se rendre à Wat Swan Mokh (situé au Sud de la Thaïlande) et le Bouddhisme Theravada n’a pas pour idéal de se propager parmi toutes les civilisations du monde.
Chers amis dans le Dharma, nous prônons le respect mutuels entre nous tous, que nous soyons Theravadins, Mahayanistes ou Vajrayanistes, et de diriger ce respect vers le reste de l’humanité. Aujourd’hui, je souhaitais seulement vous rappeler quelle est l’attitude commune aux Theravadins.
Merci pour vous être donné le mal d’écouter ce discours.
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Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka IV-Ve Siècle