Revue 2020
#3 - Qu’est-ce que la conscience ?
Par le Vénérable Ajahn Brahmavamso Mahathera
1. Les philosophes tout au long des siècles ont lutté pour découvrir comment apparaît la conscience chez l’être humain. Pour les « matérialistes », tout ce qu’un être humain fait a le corps pour origine, et ils tentent d’expliquer la conscience comme une chose qui procède de l’action du cerveau.
Pour les « dualistes », la conscience est totalement distincte du corps matériel, et ils appartiennent au royaume des religions théistes (en lien avec une « âme »).
Selon le Bouddha, la conscience, avec le corps, sont deux des cinq « agrégats » en lesquels consiste l’être humain. Et, la conscience ne procède pas du corps, mais avec le corps à la conception.
2. Tout d’abord, définissons la conscience.
D’après le Bouddha, un être conscient est un « être au courant », mais avec des sentiments et des perceptions ainsi que la capacité de se « rappeler le passé ».
Il existe plusieurs définitions de la conscience dans la science moderne, mais le consensus général parmi les savants et les philosophes consiste en ce que l’état d’un être conscient est condition d’être au courant de ce qui l’entoure et être conscient de sa propre existence (ou être conscient de soi, auto-conscient).
L’on peut, cependant, dire que la science et le Bouddhisme attribuent un sens similaire au terme « conscience ».
La définition bouddhique de la conscience tient compte des rôles critiques joués par : vedana (sentiments), sanna (perceptions) et le manasikara cetasika et 52 autres facteurs (cetasika) qui se combinent pour produire le vinnana qui ne peut qu’à la rigueur être traduit par « conscience ».
3. Sur l’origine de la conscience, nous avons trouvé trois « théories » :
La science contemporaine est basée entièrement sur la matière : l’univers débute avec le « big bang », créateur de toute la matière existante,et tous les êtres ont « évolué » à partir de cette matière inerte et la conscience aussi a évolué de la même manière, « manière » toujours inconnue.
Les religions théistes avancent, bien sûr, que les êtres humains ont été créés avec une conscience introduite en eux par un Dieu Tout-Puissant et que les animaux aussi ont été créés par lui mais ils sont dépourvus de conscience.
Le Bouddha ne rejoint ni l’une ni l’autre de ces deux théories avancées. Selon lui, les êtres vivants (humains et animaux) doués de conscience diffèrent de la matière inerte, et ils n’ont pas été créés ? De plus, il n’existe de début traçable de la vie; celle-ci a toujours existé et elle existera à jamais jusqu’à la réalisation de Nibbâna. Tout a une cause y compris la vie.
La conscience est plus que l’enregistrement d’un événement visuel ou un événement auditif, par exemple. Elle renferme une variété de facteurs mentaux tels que sanna (perception) et vedana (sentiments).
Une caméra capte l’image d’un chat, mais elle n’est pas consciente de la présence de celui-ci. En outre, un chien voit un chat et s’en rend compte. Non seulement il voit le chat, mais il sait exactement où il est et peut tenter de l’attraper. Avez-vous un jour pensé que nous ne voyons les choses qu’en sachant où elles se trouvent exactement ? Sans cette capacité, nous ne pouvons même pas marcher sans nous cogner contre les choses. Comment savez-vous que la personne qui est en face de vous n’est qu’à quelques pieds de distance de vous ? La conscience est liée à un être sensible, le mental. La science ne peut cependant pas expliquer cette capacité.
4. Il y a aussi le problème de la qualité phénoménale de l’expérience consciente : qualia ??? les sentiments subjectifs, la rougeur de ce qui est rouge, la chaleur de ce qui est chaud, etc. Comment elle apparaît chez un être fait d’atomes inertes ? Fondamentalement, il existe deux approches pour résoudre ce problème dans la philosophie et la science modernes.
Selon l’une d’elles, elle surgit en tant que propriété émergente dans les activités des neurones du cerveau. La seconde théorie propose la thèse de la dualité avancée par René Descartes au 17ème siècle et qui persiste de nos jours. A titre d’exemple, nous trouvons David Chalmers et son « The character of consciousness » (le caractère de la conscience) publié en 2010.
Un sous-ensemble de ces savants pensent que la conscience est liée aux microtubules dans une cellule (par exemple, référez-vous à « The Emerging Physics of Consciousness » (les éléments physiques émergents de la conscience et Jack A. Tuszynski et John Smythies (2006) avec « Brain and Consciousness : The Ghost in the Machines » (cerveau et conscience : les fantômes dans les machines), Journal of scientific exploration, vol.23, N°1, p. 37-50 ; 2009). En dépit de tant de recherches, la question sur l’apparition de qualia, et les sentiments subjectifs d’une matière inerte restent un mystère.
Si la cellule est répondante cela ne veut pas dire qu’elle soit pourvue de conscience ; la cellule peut s’étendre et se rétrécir (réactions chimiques) en réponse à des stimulants de l’environnement. D’une certaine manière, quelque chose de semblable se produit quand une plante se tourne vers le soleil ; bien sûr, la vie de la plante n’est pas sensible. Donc, le fait qu’une entité réponde à une influence extérieure ne signifie pas forcément que l’entité en question soit « mentalement pourvue d’attention » à une influence extérieure, autrement dit, qu’elle soit pourvue de conscience.
Cependant, tous ces hommes de science et philosophes sont bien loin de résoudre le problème des quatre agrégats du mental, à savoir : les sentiments, les perceptions, les formations volitives (sankhara) et la conscience, qui sont à la base des aspects mentaux de l’être humain. Ils ciblent principalement la conscience et la perception à leur première étape, et ils ne tiennent pas compte de la nature intrinsèque du mental. Il serait intéressant de voir quel progrès ils peuvent réaliser en adoptant une approche totalement matérialiste.
5. Il y a, tout de même, preuve sur ce que certains savants éminents commencent à douter que cette « vision du monde » ne peut être réalisée sans tenir compte des aspects mentaux. Cette tendance a commencé avec l’invention de la mécanique du quantum au début du vingtième siècle et elle gagne doucement du terrain. Quelques idées intéressantes sont examinées dans nombre de livres, dont « wholeness and the implicate order » (« l’intégralité et l’ordre impliqué »), par David Bohm, 1980, « l’énigme du quantum » par Bruce Rosenblum et Fred Kuttner, en 2006, et « Biocentrism » (Biocentrisme) par Robert Lanza, en 2009.
Cependant, les tentatives d’expliquer le mental comme étant une manifestation de phénomènes de quantum échoueront, car c’est le mental qui précède la matière. Voir « la double déchirure expérimentée-corrélation entre le mental et la matière ? »
6. La conscience (vinnana) traitée dans cette section ne tient pas compte du fait que la conscience de toute entité vivante (en dehors de l’Arahant) est contaminée par les souillures. Notre attention n’est pas pure ; elle est comme un regard jeté à travers une fenêtre au milieu du brouillard. Ce fait est traité dans « Vinnana (la conscience) » et dans « l’expansion de la conscience par la purification du mental. »
Conscience : dépendance du nombre des dimensions
Pour une introduction à la conscience, référez-vous à « Qu’est-ce que la conscience ? »
1. Quand nous fixons le regard en profondeur sur la question de la conscience, nous réalisons des variétés inimaginables de la vie. Commençons avec la question de la dimension. La vie des êtres humains dans un monde à quatre dimensions ; en d’autres termes, les humains sont conscients de quatre dimensions ; trois d’espace et une du temps.
Même si nous avons l’habitude de penser que le temps est différent des dimensions spatiales, selon la théorie de la relativité générale ; Einstein a démontré que l’espace et le temps sont liés entre eux. Il a montré que la force de la gravité peut s’expliquer comme des perturbations dans le tissu de l’espace-temps dues à la masse.
Existerait-il dans des dimensions supérieures des êtres qui échappent à notre attention ?
2. Certes, nous ne pouvons même pas commencer d’imaginer plus de quatre dimensions (ou plus de trois dimensions spatiales). Cependant, il est plus facile d’y penser et de visualiser nombre de dimensions inférieures. Imaginez une créature vivante à deux dimensions se trouvant sur votre table de cuisine ; une fourmi serait l’exemple le plus réel, si nous imaginons que la fourmi ne peut pas voir au-dessus de la table (une véritable créature à deux dimensions n’aurait que longueur et largeur).
Si nous posons une main sur la table, la créature à deux dimensions pourrait voir une partie de la projection de la main sur la table. Si vous retirez la main d’au-dessus de la table, dans la mesure où la créature à deux dimensions est concernée, « la main » disparaît ; elle ne peut « voir » aucune partie de la main si celle-ci s’est retirée de la table ; par conséquent, il n’y a aucune impression que la main existe ailleurs ; elle est inexistante dans son « univers à deux dimensions ».
Pour une histoire drôle de créature à deux dimensions, référez-vous à « Flatland : histoire de nombreuses dimensions », par Edwin A. Abbot », 2002. L’histoire a été écrite en 1884 par Abbott, un mathématicien.
3. « L’attention » d’une créature à deux dimensions sur la table de cuisine est limitée à son monde de deux dimensions. Elle ne saisit rien en dehors de la surface de la table (si elle est un « monde à deux dimensions », la surface peut s’étendre à l’infini, et dans la mesure où une créature à deux dimensions est concernée, elle n’a pas de « fin »). En outre, un monde à une seule dimension imbriqué dans le monde à deux dimensions, serait une ligne sur cette surface. Une créature à une dimension dans un monde à une dimension ne verra rien de ce qui se trouve hors de la ligne.
En effet, les créatures à deux dimensions peuvent dépasser le monde à une dimension en traversant la ligne susmentionnée.
Il est évident que la conscience d’une créature a une dimension est très limitée, non nécessairement par ses capacités mentales, mais par les dimensions du « monde » qui est en elle. Une créature à deux dimensions a une conscience étendue en comparaison avec une créature à une dimension. Nous, dans le monde à trois dimensions, nous possédons une conscience encore plus étendue. (il faut garder à l’esprit que l’on inclut le dimension du temps dans tous les cas susmentionnés où seul l’espace est considéré).
4. Si notre monde a plus de trois dimensions spatiales, il y a d’autres mondes desquels nous ne sommes pas conscients du fait que notre conscience se limite à trois dimensions spatiales.
Par conséquent, il doit y avoir des êtres dans différentes dimensions, desquels nous ne sommes pas conscients. Nous sommes en mesure de voir des « projections » d’eux s’il y a transcendance des dimensions susmentionnés. Au cas contraire, il n’est point possible d’être conscients de l’existence de ces êtres.
A titre d’exemple, dans le cas inférieur quant aux dimensions que nous avons examinées plus haut, si une créature à deux dimensions transcende la ligne du « monde à une dimension », la créature à une dimension verra un « point » pendant la transcendance opérée par la créature à deux dimensions de la ligne. Et, si le « monde à une dimension » se place au-dessus de la table, il n’y a pas de transcendance et les créatures ne sont pas conscientes de la présence, chacune, du monde de l’autre.
5. Il est possible de « voir » des êtres autres qu’humains et animaux grâce au développement de certains pouvoirs jhaniques (abhinna). De nombreux Yogis avant comme après le Bouddha, ont pu percevoir ces êtres avec lesquels ils ont œuvré. Mais cela n’est pas le but du Nibbâna, et il existe des Arahant qui n’ont pas développé de tels pouvoirs. En fait, le Bouddha n’a pas encouragé le contact avec de tels êtres notamment ceux des plans inférieurs.
« Notre monde » est bien plus complexe que ce qui est perçu par nos sens, même si la technologie nous a rendus capables d’étendre notre conscience. Nous pouvons étendre davantage notre conscience par la purification de notre mental. Un mental purifié peut voir la vérité dans le monde du Bouddha qui est bien plus vaste.
Notre vie ne prend pas fin au terme de la vie présente. Ces faits constituent le fondement de la véritable nature de l’existence, et ils ont besoin d’être examinés avec un esprit critique. L’on ne peut appréhender le message du Bouddha sans au moins avoir une idée sur cette « grande image ».
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Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka IV-Ve Siècle