Centre Bouddhique International

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L’approche de la mort dans le bouddhisme

 

Par

Bhanté Parawahera Chandaratana – Centre Bouddhique International du Bourget

 

 

 

 

 

Conférence du Vénérable Parawahera Chandaratana le 02 mai 1999 à Nice
Vérité conventionnelle et vérité ultime
Selon l’enseignement de Bouddha nous distinguons deux sortes de morts :
 la mort de chaque moment et de chaque instant ;
 la mort au sens conventionnel.
Nous avons un corps « mortel » qui est constitué de 32 parties périssables. Nous nous y attachons fortement, et nous faisons beaucoup d’efforts pour protéger et pour maintenir ce corps. Pourtant, hélas, nous ne pouvons pas affirmer que ce corps est une entité permanente. En effet ce corps n’est pas du tout le même à l’âge de seize ans et trente ans plus tard. Conventionnellement on dit « moi, toi, vous » ou bien « ces enfants sont à moi, ces richesses sont à moi ». Or tout cela n’est qu’une illusion.
Un exemple pour comprendre la nature de cette illusion : dans le langage parlé, on dit « le Soleil se lève, le Soleil se couche ». En vérité le Soleil ne se lève et ne se couche jamais, c’est la Terre qui tourne. Néanmoins ce que nous disons au quotidien n’est pas un mensonge, c’est une vérité conventionnelle. Cependant il existe des vérités ultimes.
Pour la perception conventionnelle, il y a « moi », « toi » et les objets autour de nous auxquels nous attribuons une valeur. Pour le physicien ce sont simplement des unités atomiques. Exactement de la même manière nous nous attachons à ce corps dans notre ignorance. Si nous connaissions la vraie nature de ce corps, nous ne nous y attacherions plus.
Nous manquons de satisfaction. Quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent, devrait être satisfait de ce qu’il a. Par contre les gens veulent toujours gagner encore plus : même un milliardaire veut devenir plus riche. Mais il ne pense pas à quel moment il doit quitter cette terre. Ce moment est inévitable, peut-être que cela nous arrivera dans quelques instants. Nous ne pouvons pas le prévoir. Quand même nous nous attachons sans arrêt aux choses qui sont autour de nous. Pourquoi cet attachement ? C’est à cause de l’ignorance. Il n’y a rien à prendre dans ce corps pour l’appeler « soi » ou « moi ».
Bouddha nous a parlé dans son premier sermon à Bénarès de cinq agrégats de l’attachement. S’il y a quelque chose que nous pouvons appeler « entités » ce sont ces cinq agrégats d’attachements. Leur énergie est en mouvement continuel après la mort. C’est cette continuité que nous appelons samsara. Il est comme une chaîne –nous ne pouvons pas dire où est l’origine et où est la fin. Aussi la mort n’est-elle pas une chose importante pour un vrai bouddhiste. Après la mort selon l’enseignement bouddhiste nous allons renaître dans d’autres liens – c’est notre kamma.

 

Mourir en dignité

 

Si quelqu’un est mort dans un accident ou dans une situation violente, il va certainement renaître dans une situation malheureuse, comme le dernier état d’esprit qu’il devait éprouver était trouble, haine et colère. Mais nous ne pouvons pas dire vraiment où il va renaître, notre connaissance étant insuffisante.
Malheureusement nous ne pouvons pas tous mourir avec dignité, dans une situation merveilleuse, paisiblement entourés de consolants. La plupart des personnes qui meurent souffrent beaucoup et sont dans des conditions insupportables. Même si l’on meurt cette fois paisiblement, ce ne sera pas toujours comme ça à la fin de chaque vie de la même personne. Il y a combien de personnes qui meurent dans les guerres, dans les bagarres, ou attaques terroristes, dans les catastrophes naturelles, tremblements de terre, sécheresses, inondations, incendies, accidents d’avion, dans des forêts, dans la mer, partout... Dans certains pays il y a des enfants qui meurent par suite de maladies contagieuses, par manque de nourriture ou de médicaments.

 

Ce monde terrestre ne peut pas assurer les conditions dignes des êtres ni pour leur vie, ni pour leur mort. Ce n’est pas la gloire de la création que tous ces phénomènes nous montrent, mais plutôt la misère du samsara. Il est tout à fait incorrect de penser que les malheurs arrivent seulement aux autres. Quelqu’un qui vit dans le bonheur est tenté de penser que le malheur est aux autres – l’attitude générale étant de penser que le ’moi’ est une entité éternelle. Aussi les jeunes ne pensent-ils pas à la vieillesse. Quelqu’un qui se réjouit de la bonne santé, peut penser que la maladie n’arrive qu’aux autres. Les riches pensent fréquemment que la pauvreté est le problème des pauvres. Les gens qui ont eu la beauté sont tentés de penser que la laideur appartient seulement aux autres.

 

Dans l’enseignement du Bouddha l’existence dans les cycles de renaissance est comparée à un long voyage : tous se mêlent et tout peut arriver à toutes les personnes. Tout comme lors d’un voyage, il y a des moments heureux et il y a beaucoup de malheurs aussi. Chaque personne peut avoir divers malheurs dans diverses renaissances parce que c’est un voyage tellement vaste. Dans un texte Bouddha nous a dit : « nos vies antérieures sont aussi nombreuses que les grains de sable du Gange à partir de la source jusqu’au delta. C’est inimaginable, c’est incommensurable. Il serait impossible de trouver un être qui, pendant ces vies innombrables, n’a pas été une fois notre mère, notre père, notre frère ou notre sœur. » À un autre endroit Bouddha dit : « les larmes que vous avez versées pendant votre cycle de samsara représenteraient la quantité d’eau de quatre océans. Ce sont les larmes que vous avez versées pour la mort de vos mères, pères, fils, etc. tout au long de vos cycles de naissance. »

 

Si l’on fait l’analyse de la mort, il n’est pas suffisant de parler de la signification conventionnelle du mot. Au cours de nos recherches, nous découvrons que la mort n’est pas un événement unique à la fin de la vie ou à la fin de chaque vie. Si je regarde les photos de mon enfance, je peux constater moi-même que l’enfant qui joue sur les photos n’existe plus. En effet je ne peux pas dire que je sois identique à lui, bien que je ne puisse pas dire le contraire non plus. C’est exactement le cas après la mort aussi. La personne qui renaît n’est ni la même ni une autre. C’est pour cela que l’enseignement bouddhique dit : nous mourons chaque moment et chaque instant, notre corps disparaît et apparaît beaucoup de fois dans un clin d’œil. Mais comme ce phénomène est très subtil, nous ne nous en rendons pas compte.

 

On ne note que l’événement triste, quand un jour notre corps s’arrête de fonctionner. Les gens en deuil qui nous entourent constateront : « il est mort » ou « elle est morte ». C’est leur parole. La fin de cette vie n’est pas là. Ce n’est que la fin d’une seule vie. Cependant les fonctions des cinq agrégats d’attachement ne s’arrêtent point. Les fonctions continuent sans cesse. C’est justement la continuation qui donne l’importance aux derniers moments d’une vie. Il convient de se préparer à une transition digne par la méditation pratiquée à chaque moment et à chaque instant.
Chez nous dans les pays du bouddhisme theravada, on invite des moines au chevet des mourants. Les moines récitent les qualités de Bouddha, pour que la personne puisse avoir des pensées salutaires à ce moment important.

 

 

La perte

 

La perte de ce « moi » illusoire est considérée comme un moment de perte, de chagrin et de tristesse. Dans un de ses textes, Bouddha nous diUne fois développée la vie autour des cinq agrégats d’attachement on s’exprime de la façon suivante : « c’est moi », « c’est à moi ». Or ce n’est que mana (orgueil). Les autres dans la société, eux aussi se considèrent « moi ». C’est la société qui nous fait accepter cette notion illusoire.t : « il y a des milliers d’années, au temps du Bouddha Dipankara j’ai été l’ascète Sumedho qui a déclaré alors son intention de devenir Bouddha. » On ne peut même pas s’imaginer combien de vies Bouddha a passé depuis lors avant de comprendre la vérité ultime. Combien de fois a-t-il fait face à la mort au sens conventionnel ? Et il n’a rien perdu avec ces morts – au contraire, il a eu l’occasion de développer la perception parfaite, la paramita. C’est dans ses vies passées qu’il a accompli cela. Exactement de la même manière nous ne perdons rien avec la mort au sens conventionnel –nous allons renaître ailleurs. Pour beaucoup de personnes, la mort peut apporter un changement positif : elles vont renaître à une meilleure place que maintenant. Tout de même nous avons peur. Quelles sont les raisons de cette peur ?

 

Peur du moment de la mort

 

Pour éprouver éventuellement une sensation pénible.
Nous avons un doute : comment est la situation après la mort ?
Les personnes qui faisaient du mal aux autres, c’est juste qu’elles aient peur. La séparation des personnes que nous aimons est inévitable. On doit laisser tomber les biens matériels qu’on a accumulés (richesse, héritage, etc.). Nos proches (enfants, conjoint, parents) auront beaucoup de problèmes à cause de notre mort. Finalement une ou deux raisons sont assez pour qu’une personne ne veuille pas mourir. Imaginez-vous maintenant, combien de fois vous avez joué les rôles des personnes mourant dans vos vies passées. Bouddha nous dit qu’avant d’avoir atteint l’illumination, il avait occupé toutes les positions sociales possibles, il avait eu toutes les richesses possibles, il avait tout obtenu dans ses vies passées puisqu’il est René dans tous les mondes existants sauf dans sudhavasa loka, dans l’état de anagami des non retournant.

 

Nous aussi, nous avons eu beaucoup d’occasions d’avoir des expériences différentes lors de nos renaissances innombrables. Si vous êtes riche actuellement, ce n’est pas la peine d’être jaloux – dans vos vies antérieures, vous avez déjà eu cette même richesse. Les huit conditions matérielles du monde sont communes à tous. Mais où sont vos vies passées ? Les guerres que vous avez gagnées comme roi, les pays que vous avez conquis – où sont-ils ? Toutes ces choses ne vous appartiennent plus. Pourquoi ? La réponse est simple : rien ne vous appartient dans cet univers. Bouddha a précisé plusieurs fois dans les sutta : il n’y a rien qui puisse nous appartenir. En quittant nos rôles, nos positions, nos biens matériels, nous ne les perdons pas puisqu’ils ne nous appartenaient pas.
Le médecin Sylvia Keynston compare la mort à un repos de nuit. À la fin d’une longue journée, nous avons besoin d’interrompre le travail, ranger les outils, mettre de côté les produits, et faire le point. Avant de s’endormir, il convient de réfléchir à ce qu’on a fait. Cela nous aidera demain quand on reprendra les activités.

 

 

Une histoire au cœur de l’Inde

 

Pour mieux comprendre ce problème, je peux vous raconter une histoire au cœur de l’Inde. Au temps du Bouddha il y avait un personnage très riche. Il eut beaucoup de capacités pour gagner de l’argent. Il instruisait ses employés de la façon suivante : nous devons accumuler comme les termites, ces petites fourmis blanches qui construisent petit à petit des grandes termitières, des châteaux pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur. Tous les jours il ajoute quelque chose à son palais. C’était sa façon d’augmenter ses richesses. D’ailleurs cet homme était très avare – il ne donnait rien de ce qu’il avait à personne. Aussi a-t-il interdit à ses employés de donner n’importe quoi à quelqu’un d’autre. Il voulait devenir encore plus riche. Il a même caché des trésors dans son palais dans des lieux secrets pour que ses proches et ses employés ne puissent pas les trouver.

 

Un jour il mourut. Son fils devint le propriétaire du palais. Son père prit renaissance près du palais dans une famille très pauvre. La naissance du bébé augmenta encore la misère de cette famille. Quand le garçon eut quatre ans, sa mère lui donna un bol pour qu’il mendie son pain. En faisant la mendicité, il arriva devant le palais qu’il avait construit dans sa vie antérieure. Il eut une sensation de « déjà vu » devant cette maison, et il voulut y entrer. Les gardiens ne le laissèrent pas passer, mais lui, avec les expériences de sa vie antérieure, put trouver la façon d’y accéder sans être aperçu. Les enfants de la famille riche le virent dans le jardin, et ils crièrent tout de suite : pisach ! (Cela signifie un esprit qui hante les vieux châteaux). Les gardiens vinrent, et ils attrapèrent le gosse pour le mettre dehors. Bouddha vit la situation avec ses yeux divins, et il apparut alors. Il expliqua aux habitants du palais médusés, comment ce garçon misérable avait pu échapper au contrôle des gardiens. Il leur confia aussi qu’il y avait des trésors enfouis dans le jardin que le garçon pouvait leur montrer. Ils suivirent les conseils de Bouddha et les indications du garçon misérable et ils trouvèrent effectivement les trésors enterrés. C’est ainsi qu’ils réalisèrent que le garçon mendiant était en connexion karmique avec l’ancien propriétaire.

 

Nous pouvons comprendre à travers cette histoire que nos actions de générosité ou d’avarice ne restent pas sans conséquence à l’égard de notre vie ultérieure. Les gardiens de cette histoire avaient suivi les ordres de leur ancien patron de ne rien donner aux mendiants ; c’est pour cela que le pauvre garçon mendiant ne reçut rien des habitants riches du palais. Les conséquences karmiques des actions d’impiété retourneront sans pitié à celui qui les a pratiquées. Si nous ne donnons rien aux autres, nous ne recevrons rien d’eux parce que les actions produisent leurs réactions. Nous ne pouvons pas espérer une chose que nous n’avons pas pratiquée. Par contre nous pouvons être certains que notre investissement dans les actions généreuses aura ses fruits salutaires.

 

Une autre morale de cette histoire est que les richesses et les pouvoirs de ce monde ne nous appartiennent pas en réalité. La personne morte a dépensé beaucoup d’argent pour  payer ses employés, mais ils obéissent désormais à quelqu’un d’autre. Les investissements dans les richesses terrestres s’enterrent avec nous, et n’ont aucune utilité posthume.
De toute façon nous ne pouvons pas éviter la mort. L’heure de la mort arrive, nous sommes obligés de partir. Dans le Dhammapada, Bouddha déclare : « ni dans l’air, ni dans les profondeurs de l’océan, ni dans les hauteurs des rochers, nulle part dans le monde entier il n’existe aucune place où l’homme puisse trouver un abri contre la mort. »

 

 

Éviter la mort ?

 

Les êtres dans les états célestes sont libres par rapport aux maladies et à la vieillesse, aux accidents de voiture et aux attaques terroristes – mais pourtant ces êtres divins ne sont pas libres de la mort. Autrement dit : leur vie heureuse et divine a aussi une fin. Ils sont liés au cycle des renaissances du Samsara. Ils sont obligés de renaître à la fin de leur existence céleste. Même Brahma qui demeure dans des états spirituels très élevés, renaîtra quelque part à la fin de la durée des états jhaniques. Le privilège de ne pas devoir revenir sur terre est attribué uniquement aux personnes sublimes ayant réalisé l’état d’anagami.
C’est la qualité mentale de l’individu qui détermine les possibilités de se libérer des malheurs du Samsara. Tant que notre mental est lié, nous ne sommes pas capables d’atteindre cette libération. Pour s’élever aux étapes en voie de la libération, il faut rompre un certain nombre de liens qui nous retiennent à la Roue des renaissances. L’enseignement de Bouddha énumère dix différents liens et quatre étapes d’élimination de ces liens.
Le disciple qui rompt les trois premiers liens, réalise l’état du sotapanna. On dit qu’il est entré dans le courant de l’Éveil. Il a obtenu la capacité de maîtriser sa dernière pensée avant de mourir, c’est-à-dire qu’il ne renaîtra plus jamais dans des conditions malheureuses et qu’il ne pourra plus rétrograder dans la voie spirituelle. Selon les textes canoniques, il renaîtra au plus sept fois. Il s’est libéré du lien de la croyance en l’existence d’une âme individuelle, du doute et de l’attachement aux règles et aux rituels cérémoniels.
Le disciple qui réduit le lien du désir sensuel et celui de l’aversion, réalisera l’état sakadagami. Il reviendra une seule fois sur cette terre.
Le disciple qui élimine complètement le lien du désir sensuel et le lien de l’aversion, devient anagami, celui qui ne revient plus jamais.
Celui qui est parvenu à l’étape ultime, a brisé le cycle des naissances et des morts et peut alors être appelé arahant. Il s’est libéré de la convoitise pour l’existence matérielle et immatérielle, de l’orgueil, de l’agitation et de l’ignorance. Son mental est pur, il en a éliminé toutes les souillures.

 

 

Méditation

 
Bouddha nous a enseigné dans plusieurs sutta qu’il faut réfléchir à chaque moment et à chaque instant sur l’impermanence de notre existence.
« Cinq choses ont été bien enseignées par le Bienheureux, par Celui qui connaît et voit, par le Purifié, le parfaitement éclairé Lui-même. Elle porte sur les sujets du recueillement par les femmes et les hommes, les moines et les maîtres de maison. Quelles sont ces cinq choses ?
1. De par ma nature je suis sujet au déclin. Je ne peux éviter le déclin. Cela doit être sans cesse contemplé.
2. De par ma nature je suis sujet à la maladie. Je ne peux éviter la maladie. Cela doit être sans cesse contemplé.
3. De par ma nature je suis sujet à la mort. Je ne peux éviter la mort. Cela doit être sans cesse contemplé.
4. Tout ce qui m’est cher et délicieux, changera et disparaîtra. Cela doit être sans cesse contemplé.
5. Je suis le détenteur de mon kamma, l’héritier de mon kamma, naissant de mon kamma, lié à mon kamma, je demeure supporté par mon kamma. Quel que soit le kamma que je fasse, bon ou mauvais, j’en serai l’héritier. Cela doit être sans cesse contemplé. »

 

 

 

 

 

 

 

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 Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka  IV-Ve Siècle