N°14
Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka IV-Ve Siècle
LA MÉDITATION DU VÉSAK
ABANDONNER VICTOIRE ET DÉFAITE
Ven Parawahera Chandaratana
Nous sommes presque tous d’accord sur le fait qu’aucune religion ne prône la guerre. Aucune parmi les principales religions dans le monde ne pousse ses fidèles à se lancer dans la guerre, pour quelle que raison que ce soit. Au contraire, toutes les religions tentent d’établir paix et harmonie, sauvegarde et sécurité pour la vie et les biens de tout le monde.
Cela est très particulièrement marquant dans le Bouddhisme. L’idée de guerre est véritablement anathème pour le Bouddhisme. Bien que cette religion ne pousse pas à l’extrême l’anti-guerre tel que le Jaïnisme, elle soutient sans faille la non-violence (Ahimsa). La guerre n’est nullement compatible avec un enseignement qui préconise les principes d’Ahimsa.
A titre d’exemple, prenons, les cinq préceptes et spécialement les deux premiers. Ils dénoncent sévèrement toute violence contre la vie et la propriété. La véritable signification de ces deux préceptes peut être bien appréciée quand ils sont compris dans le contexte social du 6ème siècle avant Jésus-Christ.
Ces préceptes étaient spécialement promulgués au moment où le Nord-Est de l’Inde était sévèrement affecté par des guerres constantes qui éliminaient aussi bien des vies humaines que des propriétés. Le texte de ces principes énonce clairement l’engagement du Bouddha à dissuader les factions guerrières de causer du tort à des innocents en leur ôtant la vie. Que dictent ces principes ?
« Renoncer définitivement à ôter la vie, abandonner l’usage du bâton ou de l’épée, avoir honte de commettre de tels actes de violence, être compatissant et soucieux du bien-être de toutes les entités vivantes.
Ne jamais s’approprier ce qui n’est pas donné, vivre dans la pureté, ne prendre que ce qui est offert, et ne jamais voler.
Faire la guerre
Non seulement l’aspect négatif, mais aussi le côté positif de ces préceptes est mis en avant dans le Bouddhisme : développer la compassion, l’amitié, les sentiments de fraternité et la joie sympathique est aussi mis en avant. De même encourager la charité et la libéralité. Dans un tel contexte, il n’y a pas de place pour quelque sorte que ce soit de sentiment malsain, de haine, d’animosité. En effet, que faut-il dire au sujet de la guerre ?
Le Bouddhisme proclame qu’aucune entité vivante ne doit être détruite (sabbe pana avjja). Il est remarquable de constater que le Bouddhisme identifie correctement certains facteurs qui motivent l’homme. Selon le Bouddhisme, toutes les entités désirent vivre et détestent dans leur ensemble mourir. Elles désirent toutes le bonheur, et fuient le chagrin. Ces choses-là sont à présumer comme étant des facteurs motivants fondamentaux. Le bouddhisme exhorte ses fidèles à éviter toutes sortes d’activités nuisibles, et à s’engager dans celles utiles pour soi-même et pour autrui, militant pour le rejet de toute sorte d’actes négatifs qui menaceraient la vie et les biens etc…Il exhorte également les fidèles à donner l’exemple et à être conscients des dangers qu’entraînent les actions malsaines.
Le Vetudvara Sutta du Samyuttanikaya présente ce que le Bouddha décrit comme étant un enseignement du Dhamma applicable sur soi-même (attupanayika dhammapariyaya). « Le point essentiel dans cet enseignement consiste en ce que l’on devrait considérer ce qui est déplaisant et désagréable pour les autres également. »
Voilà une méthode pratique pour éviter les actes nocifs. Il convient de réfléchir de la sorte :
« Je suis un individu qui désire vivre, et qui n’aime pas mourir, désireux du bonheur et détestant la souffrance, puisque je suis un individu qui désire vivre…, qui se détourne de la douleur, si quelqu’un tente de m’ôter la vie, ce ne sera pas plaisant ni agréable. En effet, si j’ôtais la vie à quelqu’un qui désire vivre et qui n’aime pas mourir, qui désire le bonheur et déteste la souffrance, ce ne lui serait ni plaisant ni agréable, et ce qui est déplaisant et désagréable pour moi l’est également pour autrui. Comment infligerais-je à autrui ce qui est déplaisant et désagréable pour moi ? » Ayant réfléchi de la sorte, il s’empêchera de détruire la vie, et fera l’éloge de tout comportement qui épargnera la vie.
Voilà l’attitude que le Bouddhisme souhaite voir développer chez ses fidèles. Est-il possible de dire, que le Bouddhisme encourage, de manière dissimulée, la guerre ? ou incite-t-il à infliger quelque tort à autrui ? Est-il raisonnable de supposer que le Bouddhisme favorise le tort infligé aux autres ? Est-il raisonnable de supposer que le Bouddhisme pousse indirectement ses fidèles au conflit ? La réponse se trouve dans le Dhammapada (stance 129) et est exposée clairement pour rétorquer à une question soulevée dans le Veludvara Sutta :
Tous tremblent quand ils sont menacés avec le bâton ; tous craignent la mort ; si l’on compare les autres à soi-même, on ne frapperait point et n’entraînerait quelqu’un à être frappé. »
La violence dénoncée
Tous types de violence sont condamnés dans le Bouddhisme. Non seulement celui-ci avertit ses adeptes d’éviter de commettre quelque acte de violence que ce soit, mais les exhorte fermement à ne point y inciter autrui. Ce n’est pas tout. Comme il est démontré plus haut, selon le Bouddhisme, il incombe à tous de glorifier la paix, l’harmonie, la compassion, la coexistence, et tout ce qui favorise une vie pacifique, harmonieuse et sans anxiété.
L’Attadanda Sutta du Suttanipata souligne que lorsque le Bouddha menait une vie de famille et de bodhisattva, il était extrêmement touché par la souffrance qui accablait les peuples en guerre. C’est pourquoi il mit l’accent sur l’effroyable spectacle des coups infligés par l’homme à l’homme. Peut-être une telle expérience affreuse a-t-elle contribué à son renoncement et, par conséquent, à sa promulgation de préceptes qui dissuadent les gens de commettre de tels actes nocifs. L’engagement du Bouddha en faveur de la paix et du bonheur des peuples, tel que nous le trouvons dans le Rajja Sutta du Samyuttanikaya, se traduisait même dans la possibilité d’établir un gouvernement juste. A savoir :
« est-il possible de gouverner avec droiture, sans tuer ni inciter les autres à tuer, sans confisquer, sans chagriner ni faire chagriner ? »
Malades de guerre
Ayant été un maître pragmatique, le Bouddha a très bien compris que les guerres ne sauraient être totalement éradiquées aussi longtemps que les êtres humains demeurent ce qu’ils sont. Il a considéré ce fait comme étant une partie de la lutte du pouvoir pour la suprématie, l’expansion territoriale et la domination économique. Dans un tel contexte, il ne peut pas exhorter les rois à renoncer à la guerre et de laisser les choses prendre leur cours normal.
Le mieux qu’il pût faire en tant que maître religieux, consistait en la mise en relief des maux de la guerre, les conséquences maléfiques que la guerre entraîne, la souffrance subie aussi bien par le vainqueur que par le vaincu. Il avertit ceux qui préparent la guerre pour les dissuader autant que possible et les rendre moins impitoyables. Par son enseignement moral, il l’a fait de manière très efficace, et a démontré que dans une guerre il n’y a que des perdants. Dans le sens ultime, même les gagnants sont perdants. Le sentiment de victoire n’est qu’hallucination produite par un égoïsme enraciné dans ceux qui préparent la guerre.
A la différence des philosophes politiques modernes, le Bouddha n’a pas soutenu l’éradication de la guerre par le déclenchement de la guerre. Au contraire, il a montré qu’une guerre entraîne une autre guerre dans un cercle vicieux de guerres ; l’ultime résultat en est la destruction totale. C’est pourquoi, quand il apprit la nouvelle d’une guerre entre les rois Ajatasatta et Kossala à l’issue de laquelle ce dernier subit une défaite, le Bouddha déclara :
« La victoire engendre l’inimité
Le vaincu dort mal.
Le pacifique dort à l’aise
Car il a abandonné victoire et défaite. »
L’événement relaté dans le Samyuttanikaya est également mentionné dans le Dhammapada (stance 201).
Concepts fallacieux
La recommandation du Bouddha consiste en le dépassement de ces concepts fallacieux de victoire et de défaite. Il veut dire que l’on n’a pas à posséder un point de vue étroit à propos de la guerre à savoir que celle-ci ne consiste qu’au fait d’être productrice de victoire et d’échec, mais comme une force qui entraîne des conséquences affreuses et destructrices.
De même, le Samyuttanikaya réfère à une bataille entre les deux mêmes rois, à l’issue de laquelle Ajatasattu fut perdant. Quand il apprit la nouvelle, le Bouddha dit : «
Un homme peut bien piller
Et en profiter longtemps pour réaliser des projets
Mais lorsque d’autres hommes le pillent
Le pilleur devient pillé.
Le tueur engendre un tueur
Et le conquérant un conquérant.
Le méprisant engendre du mépris (à son encontre)
Et l’insulteur des insultes (contre lui).
Tenant compte des réalités, le Bouddha en a conclu par le verset souvent mentionné (n°05) dans le Dhammapada :
« La haine dans ce monde ne peut être éliminée par la haine ; mais par le seul amour. C’est une loi éternelle. »
Tout cela démontre le caractère rationnel de l’attitude du Bouddha, combien son analyse est éclairante au sujet des conséquences de la guerre, et combien le remède qu’il apporte est efficace contre la guerre.
Quand le Bouddha souligne les méfaits de la guerre et les avantages de l’anti-guerre, il va plus loin dans son examen de la question. Il ne se contente pas de mettre en relief les maux de la guerre, mais il analyse d’éventuelles sources et causes de la guerre. Et, avec son analyse psychologique, le Bouddha trace les origines de la guerre et l’explique à l’esprit de personnes non développées et indisciplinées polluées par toutes sortes de motivations et désirs égoïstes. Procédant à une analyse très approfondie des motifs de la guerre, le Bouddha préconise leur éradication ainsi que ceux qui entraînent toutes natures de conflits susceptibles d’entraîner une guerre.
Apaisement intérieur
Comme remède à cela, selon le Bouddha, seul l’apaisement intérieur (Ajjhatta santi) est efficace. De nombreux suttas peuvent être cités du fait qu’ils renferment une telle analyse psychologique ainsi que des mesures appropriées pour apaiser les causes psychiques qui provoquent la guerre. Le Madhipiudika sutta (Majjhima nikaya), le sakkapanha Sutta (du Dighanikaya) et nombre de suttas dans le Atthakavagga du Sutanipata comme les Kalahavivada, Culavyuha et le Mahavyuna en sont quelques-uns.
Cela sans doute est une approche idéale qui est plutôt difficile à établir avec un succès total dans une société qui devient de plus en plus complexe du fait de l’affluence rapide de toutes sortes de tentations et impulsions qui poussent l’homme vers davantage de compétitions, rivalités, conflits et guerres.
Mais quand le Bouddha préconise cette approche-là, il reconnaît en saillie les conditions matérielles qui fournissent un terrain fertile à la mentalité de guerre. Il identifie ces conditions matérielles comme tombant principalement dans les plans politique, social et économique, et conseille à tous de prendre des mesures aussi bien préventives que curatives pour les réprimer et les éliminer.
Dans la sphère politique, il identifie directement le gouvernement malsain d’un pays à la tête duquel se posent des hommes despotiques et impitoyables qui ne se soucient guère du bien-être de la masse, comme cause majeure d’une constante prédominance de la guerre. De tels gouverneurs insensibles et indifférents au bien-être de leurs sujets poursuivaient impitoyablement une politique d’expansion territoriale. Du fait de la large prédominance de systèmes monarchiques, la population ne pouvait nullement participer au fonctionnement de l’Etat. Le Bouddha ayant été quant à lui, un sujet en dépit de l’importance et de la valeur qu’il incarnait, ne pouvait que très peu influencer la politique menée dans un Etat. Le mieux qu’il pouvait faire, consistait à conseiller ces guerriers vaniteux, égoïstes et impitoyables en leur démontrant la futilité de leurs activités.
Sauvegarder la vie
En fait, le Bouddha a présenté l’idéal du Cakkavatti le roi universel, pour attirer l’attention, des gouverneurs aussi bien que les sujets, sur la possibilité d’avoir une forme de gouvernement de loin meilleure, où l’on se soucie de la sauvegarde de la vie etc.… A travers ce concept, le Bouddha a mis la lumière sur l’importance de la droiture dans tout système politique. La droiture est soulignée comme symbole de bonne politique, les gouverneurs devaient embrasser la droiture- le Dhamma. Il convient de même pour notre époque. En mettant l’accent sur ce que les rois et l’Etat doivent être subordonnés au Dhamma, le Bouddha a tenté d’atténuer le comportement despotique des rois. Le Kutadanta Sutta est une satire acerbe sur l’emphase des gouverneurs despotiques au détriment de sujets malheureux innocents. Voici les paroles attribuées au roi Mahavijita :
« J’ai acquis une richesse conséquente au sens mondain du terme
J’ai conquis et occupé un vaste territoire
Supposons à présent que je doive faire un grand sacrifice qui
Me procurera pour quelque temps bien-être et bonheur. »
Quand l’intention du roi fut révélée, le sage chapelain rappela très poliment au roi qu’il avait acquis sa gloire et sa prospérité au détriment de ses sujets qui se trouvaient toujours dans une misère abominable, luttant pour leur survie. Le chapelain avertit le roi que s’il continuait à accabler la masse, la situation empirerait.
De même, le Bouddha a posé la diminution de la misère comme condition à l’instauration de la paix. Aussi bien le Cakkavattisihanada sutta et le Kutadanta sutta énoncent très clairement la futilité des mesures curatives économiques précaires. Le Kutadanta sutta démontre comment les mesures doivent être bien planifiées, prendre en compte la structure économique totale du pays et maintenir une économie forte employant la capacité ouvrière dans le sens de générer le maximum de résultats dans l’intérêt de tous.
Un autre secteur vers lequel le Bouddha attire l’attention dans son plan global pour établir la paix dans la société où règnent inégalités et discriminations : un secteur qui n’était pas simplement dirigé contre le système des castes dominant .Le Bouddha était particulièrement touché par la discrimination sociale qui résultait du système des castes. En effet, il insistait sur l’importance d’admettre la stricte égalité entre les êtres humains.
La réduction de la ségrégation sociale
Le Bouddha était bien conscient d’une telle possibilité. Il conseilla avec insistance aux autorités concernées de ne pas traiter un groupe social avec plus de privilèges que les autres. Il agit contre la ségrégation sociale, ainsi que contre la discrimination entre hommes et femmes qui faisait de celles-ci des citoyennes de seconde classe. Il s’opposa à l’accumulation de richesses sachant que ce fait entraînerait un déséquilibre économique qui mène à une insurrection et une agitation de masse contre l’inégale répartition des richesses et la perte des droits.
Le Bouddha a rendu l’Etat responsable de ces graves défaillances qu’il considérait comme des causes potentielles et sources de bouleversement social entraînant la guerre. Quand le Bouddha pensa au concept de Cakkavatti-raja, il mit l’accent sur l’importance d’accorder la protection, la défense et l’attention à tous les sujets, il avait de même insisté sur l’importance d’éliminer les malversations et la corruption afin d’instaurer une paix durable menant à l’harmonie et à la prospérité. En effet, il est clair qu’il est possible d’élaborer une politique très constructive et pratique, si l’on ne parvient pas à éradiquer totalement les guerres, au moins on peut en réduire l’ampleur et limiter leur néfaste conséquence de manière efficace.
Vénérable Parawahera Chandaratana
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